Le Soir: Fusillade à Liège : La mise au point du bourgmestre de Liège trois jours après le drame.

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Lundi 4 juin 2018

Willy Demeyer : « Je demande des comptes »

FUSILLADE À LIÈGE : La mise au point du bourgmestre de Liège trois jours après le drame.

« Qu’a-t-on fait des conclusions de la commission d’enquête sur les attentats du 22 mars 2016 ? »

« Je sais que tout cela est compliqué, mais comme représentant

des Liégeois, je demande des comptes ».

«On a eu des contacts avec la compagnie d’assurances pour tous les aspects matériels, les soins, les orphelins…

On l’a appris dans la commission d’enquête sur le 22 mars: il faut très vite être auprès des familles».

 

LE SOIR Entretien

Trois jours après le drame. L’enquête est en cours sur le déroulement des événements. Liège reste sous le choc. On se prépare à la marche blanche, dimanche. Willy Demeyer est partout. Il s’arrête un instant. Le bourgmestre fait le point avec nous.

Que sait-on des faits exactement, à ce stade ?

Je ne m’exprimerai pas sur l’enquête, elle est du ressort du fédéral. Mon rôle de bourgmestre, c’est d’être au service de la population. Je peux affirmer ceci : je suis satisfait de voir comment les services publics ont fonctionné, à commencer par la police, ici durement touchée, également le service public de l’enseignement, et tous les services d’appui, comme les centres PMS, les psychologues, etc. Nous avons appliqué les conclusions de la commission d’enquête sur les attentats du 22 mars 2016, qui remontent à fin 2017, et qui formulaient une série de recommandations – j’y reviendrai. Mais aujourd’hui, on est surtout dans un moment où nous pansons nos plaies. Et nous sommes aux côtés des familles.

C’est votre souci permanent : les familles…

Oui. La pauvre maman du jeune homme tué à côté d’elle… Les deux policières que je connaissais personnellement, que tout le monde connaissait car elles travaillaient dans l’hypercentre de la ville, tout le temps à pied, et elles étaient présentes dans les manifestations. Je pense aussi aux quatre agents blessés, je suis allé les voir à l’hôpital. Voilà. On organise les funérailles. Le service de protocole vient en appui. On a eu des contacts avec la compagnie d’assurances Ethias pour tous les aspects matériels, les soins, les orphelins… On l’a appris dans la commission d’enquête sur le 22 mars : il faut très vite être auprès des familles. Elles sont tellement dans la peine, il faut au moins leur tirer cette épine-là hors du pied, elles ne doivent pas connaître de problèmes légaux, il faut garantir le soutien d’un psychologue, la prise en charge de toutes les factures… Voilà, je fais cela pour l’instant. Les Liégeois sont tristes, soutenants vis-à-vis des familles, en colère, mais ils veulent continuer à vivre comme avant. Il y aura une marche blanche dimanche midi, à l’initiative des amis de Cyril.

Quant aux motivations du tueur, votre chef de corps, Christian Beaupère, a déclaré dès mardi qu’il visait la police et l’Etat. C’est votre analyse ?

Ma conviction profonde. J’ai notamment vu les caméras de la ville qui montrent les faits et, manifestement, l’individu voulait attenter à la vie des policières. Ensuite, il se rend dans un bâtiment, il se retranche, il prend une otage, il attend que les policiers arrivent. Il écarte la dame. Il sort. Il a deux pistolets, 17 balles dans chaque chargeur. Il tire sur les agents du PAB, le Peloton anti-banditisme, qui sont là, trois qui étaient en patrouille et qui sont venus tout de suite sur les lieux, cinq qui sont arrivés très vite de l’Hôtel de police. Il subit un nombre considérable d’impacts par balle mais il va de l’avant, ce qui nous montre qu’il était probablement sous l’influence de produits. Il arrive à blesser des agents du PAB au niveau de leurs seuls points faibles, les chevilles. Voilà qui vient conforter l’opinion que j’ai, celle de Christophe Beaupère aussi, comme de la dame d’ouvrage, il visait la police. Il y a la malheureuse victime civile, mais il attend les policiers, c’est cela qui ressort.

Il vient de Rochefort, pourquoi choisit-il Liège ?

Mon hypothèse : quand on est dans un processus de « suicide par policier » – cela veut dire que l’on n’a pas l’intention de se suicider soi-même, on veut se faire tuer par la police, c’est un profil bien connu –, on va dans une grande ville où l’on sait que les policiers sont formés, entraînés, armés, ici une ville où il y a un Peloton anti-banditisme… Donc on sait que si on les attaque frontalement, ils vont répliquer. C’est le choix d’une métropole équipée “policièrement”, et qui peut être identifiée par les médias, ce qui donne un retentissement.

Et donne aux événements un caractère terroriste…

En tout cas, l’acte a été qualifié comme tel. Jusqu’à preuve du contraire. On est dans l’hypothèse du radicalisme violent… Maintenant, il peut avoir décidé de crier “Allah Akbar” au dernier moment, nous verrons, l’enquête le dira. Je n’irai pas plus loin.

Cela étant, y a-t-il, selon vous, un lien direct entre la radicalisation en prison et les actes commis ?

Il y a un lien, mais est-ce que c’était une radicalisation violente ou pas, ou bien tout cela est lié plutôt à la toxicomanie, il était manifestement addict, et plus qu’addict. Les enquêteurs sont au travail, ils travaillent beaucoup. Tout cela pose la question de la libération conditionnelle, des congés pénitentiaires, en tout cas c’est ce que me disent les gens dans la rue…

On y vient : vous désignez des responsabilités politiques ?

Je ne dis pas cela, mais mon raisonnement est le suivant… J’ai été membre actif de la commission d’enquête parlementaire sur les attentats du 22 mars 2016, nous avons rédigé un rapport conséquent, fin 2017, avec notamment un chapitre consacré à la lutte contre la radicalisation en prison, et je pose la question : qu’a-t-on fait des recommandations contenues dans ce rapport ? Ne nous le cachons pas : c’est compliqué tout cela, bien sûr, et je ne serais pas un type sérieux si je me prêtais à des simplifications, mais je pose quand même la question : qu’ont-ils fait ? Les ministres ? Et le Parlement ? A-t-on au moins commencé à mettre en œuvre les recommandations ? La responsabilité politique, c’est cela pour moi. Qu’est-ce qui a été fait ? Ne rien faire, c’est coupable. Comment représentant des citoyens liégeois, je demande des comptes.

Pour le reste, moi, je ne suis pas – c’est connu – un “angélique”, je ne suis pas hostile à la répression quand c’est nécessaire, mais j’ai beaucoup étudié, en Belgique et à l’étranger, les politiques de cohésion sociale, d’insertion, et la vraie solution à tout cela, elle est dans l’inclusion dès le plus jeune âge. C’est la clé. En attendant…

 ANN-CHARLOTTE BERSIPONT DAVID COPPI

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