Le pessimisme est un luxe que l'on ne peut se permettre - Rob Hopkins

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Mardi 14 novembre 2017

En 2005, il lançait le mouvement des Villes en transition, qui a depuis lors pris une envergure mondiale.

Le Britannique Rob Hopkins était de passage en Belgique il y a quelques jours. Une rencontre vivifiante.

Entretien: Valentine Van Vyve

Rob Hopkins rêve que l'imagination prenne le pouvoir et qu'elle anime son "mouvement de communautés" vers la "reconstruction du monde". Ainsi définit-il la philosophie de la Transition. Une dynamique des petits pas qui a pour objectif de nous amener à embrasser un autre modèle de société.

Ce mouvement est "ambitieux, audacieux" mais aussi "expérimental, entrepreneurial et tourné vers la recherche de solutions", explique-t-il. Tout citoyen est poussé à se lancer, à essayer, et même à se tromper.

Et ça tombe bien puisque "nous sommes capables de réaliser des choses que ne peuvent faire nos gouvernements parce que nous pouvons prendre des risques sans que cela ne pose problème".

Depuis 2006, plus de 1500 groupes ont rejoint le Réseau Transition dans une cinquantaine de pays. Vous attendiez-vous à un tel succès ?

Et encore, il existe quantité de groupes non inscrits qui appliquent les principes de la Transition. Nous ne pensions pas que cela allait grandir de la sorte, pas même dans notre propre communauté, à Totnes. Mais les gens se sont montrés intéressés et l’idée s’est étendue d’une manière incontrôlable.

Comment expliquez-vous cet élan ?

On a été chanceux d’arriver au bon moment. Devant les nombreux défis qui se posent à nous, nous avons besoin d’une réponse compatissante. A ce moment-là, l'offre se limitait à l’image du « survival ». L’idée de se rassembler pour imaginer ensemble le futur ne faisait pas partie du paysage malgré le fait que beaucoup de gens se sentaient concernés. La Transition s’est glissée dans cet espace, en proposant un modèle que l’on ne maîtrise pas totalement mais qui incite les gens à essayer.

Par ailleurs, certains aiment l’idée d’avoir de l’influence, en particulier lorsqu’ils constatent que le monde ne tourne pas si rond, que les personnes au pouvoir ne savent pas ce qu’elles font et qu’ils font face à un isolement croissant. La Transition a cet avantage qu’elle ne commence pas par une longue liste d’exigences auxquelles il faut se plier pour être impliqué dans le mouvement. Au contraire, il y a énormément de portes d’entrée. Les projets peuvent se faire dans des domaines différents: économie, business, écologie, éducation… Chacun peut venir avec sa passion et trouver d’autres personnes pour l'accompagner dans son projet.

« Si vous avez une idée, lancez-vous ! On vous offre le matériel et l’accès au réseau. Le seul engagement de votre part, c’est de raconter votre histoire : tant vos succès que vos échecs. »

Cela fonctionne parce que le mouvement est animé par la confiance, la générosité et la croyance que les gens en feront quelque chose de bien. Ca a été pensé pour être mu par un esprit d’auto-organisation et devenir un réseau mondial de personnes partageant leurs manières de faire, sans que l'on ait toutes les réponses.

La Transition fonctionne par essai et erreur ?

Oui. Dans quels domaines se permet-on encore se tromper ? Où encourage-t-on encore la prise de risque ? Certaines initiatives ne fonctionneront pas. Mais celles qui fonctionneront seront fantastiques parce qu’elles seront imaginatives et inattendues.

Vous parlez d'un "mouvement de communautés". Quelle est l’importance du niveau local ?

Devant les grands défis auxquels nous sommes confrontés, du changement climatique à l’épidémie de solitude, on se dit qu’on ne peut rien y faire, parce qu'on les entrevoit dans leur globalité… La perspective change quand on essaie d’agir à l'échelle de nos quartiers. Ce niveau est aussi important parce que chaque localité a ses spécificités. Les initiatives qui y seront prises seront le reflet des personnalités, des cultures, des réalités locales…

Il est très excitant d’envisager un système économique différent. Prenez la gestion de la pluie par les forêts : tout circule en un rythme lent. Ce que l’on essaie de faire avec l’argent suit la même logique : trouver des moyens de le faire circuler localement afin de diversifier nos économies et de les rendre plus résilientes et complexes. Le niveau local est le niveau où l’on commence : on se demande "où vais-je dépenser mon argent?" plutôt que de demander à l’Union européenne d’investir des millions d’euros dans nos villes.

La Transition est un mouvement résolument citoyen

L’exemple de ce qui se passe a Liège est intéressant : le projet d’une ceinture alimentaire autour de la ville a été mis en place par Liège en Transition. Ensuite, les autorités de la ville ont intégré ce projet dans leur programme. A un certain point, il peut être intéressant que le pouvoir politique s’empare de projets mis sur pied et conduits par les citoyens. Le contraire peut être vrai aussi : à Grenoble, c’est le maire, enthousiasmé par le mouvement, qui a demandé comment créer un groupe de Transition.

Toutefois, le propre du mouvement, c’est qu’on n’a pas besoin de permission pour se lancer. Il ne faut pas attendre l’accord des dirigeants politiques.

Qu’est-ce qui distingue la Transition de l’écologie ou du développement durable ?

C’est un mouvement que je juge plus profond. Aujourd’hui, la durabilité est un concept un peu fourre-tout, que tout le monde s’est approprié et qui ne signifie plus grand-chose.

Il est question de résilience car celle-ci permet de s’adapter aux chocs. C’est une énorme opportunité. Imaginez que pendant trois jours, les camions de marchandises ne puissent plus entrer dans Bruxelles. La ville connaîtrait une pénurie de nourriture. Elle n’a plus de connexion avec les terres de sa périphérie et est donc très vulnérable. Imaginez maintenant que l'on produise de la nourriture en ville et aux alentours, cela nous rendrait plus résistants aux chocs, mais cela présente aussi un extraordinaire potentiel de renaissance économique, culturelle et sociale.

« La Transition, ce n’est pas seulement des panneaux solaires et des carottes, c’est comment on fonctionne ensemble et construisons notre propre résilience.»

Nous avons besoin de construire une nouvelle économie et pour cela, il faut aussi pouvoir sortir d’un fonctionnement exclusivement bénévole. Nous devons créer dubusiness et du travail. Et c’est un point avec lequel les mouvements écologistes se sentent un peu mal à l’aise. On se distingue d'une pure initiative écologique de gauche. Le mouvement de la Transition ne s’inscrit pas dans le spectre politique: il attire les progressistes comme les conservateurs autour de la manière de faire de ce monde un lieu prospère, de diversifier nos économies.

Pensez-vous que cela mènera à un changement radical de système ?

La seule chose qui peut garantir la survie humaine sur cette planète, c’est, précisément, un changement radical. Nous sommes sûrs d’une chose : le statu quo n’est pas une option. On doit stabiliser la hausse de la température moyenne mondiale à 1,5C°. Nous en sommes pourtant loin. Nous avons donc besoin de réflexions radicales et pas seulement de solutions « intelligentes » que les grandes compagnies nous proposent, comme les voitures électriques.

A Liège, par exemple, on propose un modèle complètement différent qui changerait la manière dont fonctionne l’économie.

Quels choix avons-nous aujourd’hui face aux défis climatique, sociaux et économiques ? Certains craignent l’effondrement, jusqu’à la paralysie. D’autres sont encore optimistes…

L’effondrement est une possibilité. Et c’est déjà une réalité dans certaines parties du monde. Mais si on déclare que tout va s’effondrer et que ce sera terrible, les gens se découragent alors que c’est précisément à ce moment-là qu’on a besoin d’imagination et de capacité d’adaptation. C’est ça qui nous permettra d’en sortir. Comment peut-on aider les personnes autour de nous à faire preuve de résilience, d'adaptabilité, de créativité, c’est ça, la question. Le pessimisme est un luxe qu’on ne peut pas se permettre. On peut juste se permettre de se retrousser les manches.

« Les générations qui nous suivent regarderont certainement en arrière en se disant que nous avons vécu la plus grande faillite de l’imagination de l’histoire de l’humanité. »

Il y avait, dès le départ, une solution au problème du changement climatique… Mais cela nécessitait un changement d’histoire et de narratif sur l’idée qu’on se faisait du futur : une société qui aurait été capable d’assurer que le business serve l’humain et la nature et non l’inverse. Le fait d’avoir laissé le business devenir si puissant nous a poussés au bord de l’éradication de notre propre espèce. Juste parce qu’on n'avait pas la capacité d’imaginer autre chose.

Avez-vous entendu dire du mouvement qu'il est « un retour en arrière » ?

Tout le temps ! Il vient de personnes qui passent spectaculairement à côté du message et de l'objectif. Au contraire, continuer à faire ce que nous faisons est un retour en arrière. C’est ce que l’on voit à Porto Rico : à cause des tempêtes, il n’y a plus d’électricité, plus d’eau, nulle part où vivre. Il est important de trouver une manière d’avancer qui corresponde aux défis de notre époque et qui donne de la perspective, un but vers lequel tendre.

En Alsace, ils ont remplacé le bus scolaire par un cheval et une carriole. Un homme trouvait ça un peu « too much », ça lui donnait un sentiment de retour en arrière. Pourtant, les enfants vivaient un moment magique. Pourquoi lie-t-on une société dépourvue de carbone à un retour en arrière ?

En Belgique, on a parfois le sentiment que les choses sont figées. Qu’avez-vous pu y observer ?

En Belgique, le nombre de groupes en Transition a triplé en deux ans et les initiatives qu'ils prennent sont ambitieuses, que ce soit des potagers et des jardins en pleine ville ou la ceinture alimentaire de Liège. Le groupe Liège en Transition a ainsi recréé le lien avec les exploitations agricoles qui entourent la ville. De nouvelles fermes ont par la même occasion vu le jour, au même titre que des magasins dans la ville, on a construit une brasserie, etc... Certaines localités proposent de leur côté d'expérimenter des monnaies alternatives. Le groupe qui supporte la Transition (le « hub ») est par ailleurs très efficace. La Belgique est un des pays où le mouvement de la Transition est le plus excitant.

Quels conseils donneriez-vous à celui ou celle qui souhaiterait se lancer ?

Rendez-vous sur le site internet de Transition Belgique. Si un groupe existe près de chez vous, allez-y ! Regardez comment vous pouvez aider. Sinon, il existe un guide gratuit en ligne pour initier la Transition. Le Hub belge organise une formation de deux jours très complète. Essayez petit, quelque chose que vous vous sentez capable de faire. On a besoin de pas progressifs. Donc, faites le premier pas !

 

Entretien : Valentine Van Vyve

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