La salle de consommation est une solution mais le fédéral fait obstacle

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Vendredi 5 janvier 2018

Une interview de Isabelle Lemaire et Sophie Devillers pour la Libre Belgique

Willy Demeyer : "La salle de consommation est une solution mais le fédéral fait obstacle"

 

Willy Demeyer (PS) est le bourgmestre de Liège depuis 18 ans. Il évoque sa gestion politique de la toxicomanie à Liège et son actualité : le combat pour ouvrir une salle de consommation à moindres risques dans la ville. Il nous parle tout d'abord de l'impact que la toxicomanie a sur Liège.

Quand vous êtes entré en fonction en 1999, aviez-vous conscience du problème de la toxicomanie à Liège ?

Ce que j'en connaissais, c'est au travers du contrat de sécurité, avant que je sois bourgmestre. J'avais été associé à la définition des pistes de travail à faire dans ce secteur. Je n'étais pas un grand spécialiste de la chose. Je savais que ça existait, que ça se passait à Liège et qu'on s'en occupait mais j'y étais fort peu confronté. J'ai découvert cela plutôt comme bourgmestre.

Le 1er novembre 2017, quand vous avez quitté votre poste de député fédéral, vous avez fait cette déclaration : "ma présence à Liège est plus que jamais requise pour régler des problématiques sociales comme la mendicité ou la toxicomanie". C'est donc bien une priorité et une problématique cruciale à Liège ?

On pourrait se contenter de ce qu'on a, de ce qui est mais, oui, c'est une priorité par rapport aux ambitions que nous avons, qui sont sociales et vis-à-vis de la ville, de la population. Nous avons déjà une ville plutôt inclusive et il faut encore perfectionner cela. C'est la mentalité des Liégeois : ne pas se diviser, ne pas se dresser les uns contre les autres. On aime vivre ensemble. Il faut donc trouver une manière de traiter socialement le problème, dans le respect des personnes concernées mais aussi de toutes les autres personnes qui demandent la tranquillité et de la ville elle-même. J'ai cette priorité qui, malheureusement, n'a pas pour le moment trouvé de réponse, malgré les efforts des secteurs concernés et les miens, législatifs et autres. J'ai roulé ma bosse dans toutes les assemblées du pays (Communauté française, Région, Sénat et Chambre) mais, malgré mon travail assidu et celui des experts qui m'ont alimenté, on n'a pas trouvé de réponse structurée et structurelle.

Il y aurait une solution unique au problème ?

Non, pas nécessairement unique. Elle est plurielle, comme toujours quand il y a un grand problème. Il y a plusieurs réponses qui vont fragmenter le problème, l'amoindrir avant de l'annuler. La distribution de seringues, c'est l'exemple : la mesure est nécessaire mais le problème reste le produit. Une belle solution qui a ma préférence: ouvrir un centre intégré, une salle de consommation avec des services de base socio-médico-sanitaires, qui serait un dispositif parmi d'autres. Je trouverai le budget communal pour l'ouvrir.

En quoi une salle de consommation serait-elle la solution ?

Pour moi, cela tombe sous le sens car je suis un pragmatique. Et que, dans la vieille Europe, ces dispositifs existent et fonctionnent. La situation actuelle à Liège est grandement insatisfaisante et elle ne contente personne. Ces personnes qui sont dans la rue s'injectent les produits sur la voie publique, dans les parkings souterrains, au vu et au su de tout le monde, dans des conditions d'hygiène déplorables. Elles ont des comportements liés au manque, au trafic, au fait d'assouvir immédiatement leur assuétude. Elles sont dérangeantes et nuisibles. Un centre intégré leur donnerait accès à des douches, des toilettes, une tasse de café, à un peu de dignité, une accroche avec des travailleurs sociaux, qui peuvent les ramener vers autre chose, vers la société.

C'est donc une solution pour ces personnes, la société et pour la police, qui pourra leur dire qu'il y a un endroit approprié pour elles. La police est assez démunie car on voit que les priorités du parquet ne sont pas celles-là. La population, elle, ne sera plus confrontée à des scènes choquantes. Et c'est une solution qui est réfléchie, réclamée par la Province et tout le secteur d'aide et de soins.

Ce dossier pour lequel vous avez déposé une proposition de loi est bloqué politiquement ?

Au fédéral, il faut changer trois mots dans l'article 3 de la loi de 1921 (sur le trafic de stupéfiants). Si on met une salle à disposition, la loi dit qu'on facilite la toxicomanie. Les freins sont dus à une attitude dogmatique, à une frilosité dans certaines régions. La N-VA et le CD&V font obstacle parce que, pour eux, c'est tolérance zéro mais avec une police fédérale dont les effectifs sont réduits et une justice qui est sinistrée. C'est donc un leurre. Ils ont toutefois consenti à une étude de faisabilité. La Région est compétente pour le financement de ce type de projet mais on nous dit qu'il n'y a pas d'argent. Laisser ce problème de toxicomanie perdurer à Liège est de nature à ce qu'il se répande. Je vais revenir à la charge, en partant de la base locale. Et je vais demander à ce que la création de salles de consommation soit incluse dans le programme du PS pour les élections communales de 2018.

Sans ces deux partis flamands, il y aurait une majorité politique pour valider votre proposition de loi ?

Il existe, dans différents groupes politiques, des parlementaires convaincus des thèses que j'ai personnifiées.

Le tout répressif dans la gestion des toxicomanes n'est pas, pour vous, une option ?

Il faut un tout, allier le préventif, le répressif, etc. Quand vous avez besoin que la répression s'exerce, je ne suis pas frileux. Je ne m'inclus pas dans une caricature de la gauche permissive. La prévention sous toutes ses formes, la réduction des risques sont aussi très importantes.

On nous rapporte certains abus commis par la police de Liège sur des toxicomanes de rue et que les policiers, finalement, ne font que les chasser, les rendre invisibles très temporairement...

Les policiers ne font qu'appliquer le règlement communal sur la mendicité (autorisée du lundi au samedi, notamment sous conditions géographiques – par quartiers - et d'horaires stricts, NdlR).

Nous avons un service interne disciplinaire bien organisé qui veille à ce que le comportement des policiers soit exemplaire. Je n'ai jamais été informé d'abus manifestes. S'ils avaient eu lieu, je le saurais.

Vous le répétez depuis longtemps : vous en faites plus pour l'accueil des précarisés que vos homologues de la province, au risque de créer un appel d'air. Qu'avez-vous à dire aux bourgmestres voisins ?

Liège est victime du problème de la centralité : elle attire des personnes venues d'autres communes. Nous avons sur le dos le poids de la grande précarité. Quand il s'agit d'ouvrir des infrastructures, cela peut donc être un puits sans fond, avec un effet d'aimantation. Il faudrait trouver un moyen pour que les gens soient aidés là d'où ils proviennent.

Et que répondez-vous aux commerçants autour de la place Saint-Lambert que nous avons rencontrés, qui disent qu'ils se sentent abandonnés des autorités communales ?

Je leur dis : oui, c'est vrai, la ville est abandonnée par le fédéral, par la Région et la Communauté française, par les pouvoirs qui ont dans leurs attributions les solutions potentielles. Personnellement, j'ai fait presque tout ce que j'ai pu.

Tadam a été un projet important à Liège. Quelles sont les conséquences de son arrêt ?

On m'a dit que la plupart des patients, qui avaient fondé un espoir dans le projet, sont retombés plus bas que leur situation avant Tadam, dans une forme de marginalité. J'aurais souhaité que l'expérience se poursuive, afin qu'ils puissent recevoir des soins et mener une vie quasiment normale. La distribution contrôlée d'héroïne médicalisée s'inscrirait dans le dispositif général, à proposer à certains qui fréquenteraient la salle de consommation.

Liège a lancé une opération de marketing territorial, Liège Together. Quelle image voulez-vous qu'on ait de Liège à l'extérieur et en quoi la question de la toxicomanie vient percuter ou perturber cette campagne de marketing ?

L'image d'une métropole connectée, résiliente, moderne, culturelle et cultivée. Sur la toxicomanie, on ne le nie pas : on a un problème et il faut le régler. Si on nous laissait faire, ce serait déjà réglé.

Quel bilan dressez-vous de vos 18 ans de mayorat en matière de gestion de la toxicomanie ?

Le phénomène urbain n'est pas correctement apprécié par des entités comme la Région, la Communauté française et le fédéral. Tout est prêt de notre côté. Nous avons des équipes au fait de ces choses-là. C'est une déception de ne pas être entendu par ceux qui peuvent adapter le cadre législatif, alors que le dossier est prêt et étudié scientifiquement.

Il fallait mener à Liège, et c'est ce que j'ai fait, une politique de coproduction des solutions avec la population, les toxicomanes, les associations, les services publics. Ce sont des problèmes tellement lancinants... Si derrière le commerçant qui se plaint, il y a un chiffre d'affaires, des clients un peu perdus, derrière chaque toxicomane, il y a une détresse humaine. Et derrière un policier qui doit intervenir, il y a aussi une détresse. Quand la ville va bien, je vais bien. Et quand elle va moins bien, je vais moins bien.

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